Actualités d’une collection graffiti pionnière dans le monde des musées : quelques enjeux de la politique d’acquisition du Mucem

Hélia Paukner1
Téléchargement (PDF)

Historique de la collection graffiti du Mucem

Depuis 2001, de nombreuses acquisitions ont été conduites par le Musée national des arts et traditions populaires puis par son héritier, le Mucem, autour du hip-hop, du break, du skate, du tag et du graffiti writing. Pour le seul graffiti, entendu comme mouvement né à la fin des années 1970 dans les quartiers populaires des cités américaines comme New York ou Philadelphie, qui ont vu de jeunes gens prendre place dans l’espace public, notamment autour des réseaux ferroviaires et métropolitains, par l’écriture, le plus souvent illégalement – pour le graffiti, donc, ce sont aujourd’hui plus de 2000 objets qui ont intégré la collection, accompagnés de nombreuses archives. En effet, au sein de ce musée de société, la méthode ethnographique de l’enquête-collecte conduisant à la rencontre des acteurs sur un terrain donné reste la méthode privilégiée d’acquisition, déjà mise en œuvre par Claire Calogirou, ethnologue associée au musée, passionnée par les cultures urbaines, à l’origine de la collection. Des entretiens transcrits, enregistrés ou filmés d’artistes graffeurs, de collectionneurs, de galeristes, des documents confiés par eux, enrichissent ainsi la connaissance du mouvement et la compréhension des objets de la collection.

Cet ensemble2 – le premier et le plus important dans les collections publiques européennes –éclaire les rapports sociaux en milieu urbain, la question de l’appropriation de l’espace public, les processus artistiques du graffiti, les références culturelles que ce mouvement s’est constituées, la création aux marges de la légalité, les processus d’« artification » et d’institutionnalisation observables ces quinze dernières années.

Un regard rétrospectif permet de mesurer à quel point cette campagne est hors norme d’un point de vue spatial – à l’aune d’un terrain ethnographique classiquement circonscrit à un ou plusieurs lieux définis. Entre 2001 et 2013, sous l’intitulé « tag et graff », l’enquête aborde de nombreux lieux, selon les opportunités d’événements, de festivals, ou bien selon les ramifications des réseaux des writers, suivant leurs groupes, leurs affinités électives et les mises en relation qu’elles permettent : d’abord en France, puis, lors de séjours ciblés, dans différentes métropoles européennes3 –, Stockholm, Londres, Hambourg, Berlin, Bruxelles, Liège, Barcelone et Madrid, au début des années 2000. À la suite du transfert des collections du musée national des arts et traditions populaires à Marseille, le Mucem – Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée – a été inauguré en 2013, avec un domaine de compétence élargi au pourtour méditerranéen. En conséquence, enquêtrices et enquêteurs se sont rendus pour le Mucem sur des terrains méditerranéens à partir de 2015. Des entretiens ont été conduits avec des artistes graffeurs et des acquisitions ont été faites en Tunisie (2015-2016)4, au Maroc (2016-2017)5, en Espagne (2016-2017)6, en Italie (2016-2017, puis 2019-2020)7 et en Grèce (2021-2023)8.

Polynucléique, ce terrain l’a été aussi du fait des contraintes que faisaient peser sur le projet naissant les perquisitions et procès lancés par le parquet de Versailles en 2001 à l’encontre des graffeurs. Le soupçon était de mise, rendant plus complexe la mise en confiance avec les writers. Du point de vue du positionnement de l’institution muséale face à une activité souvent illégale et pénalisée, l’enquête-collecte graffiti également est singulière. Faut-il rappeler que la recherche prend pour objet le monde tel qu’il est et non le monde tel que le souhaite le législateur ? Et que la mission de qui s’occupe d’art contemporain au sein d’un musée de société est d’envisager des formes de création en dehors des circuits institués de l’art ? Cela peut relever de l’évidence, mais face à la crainte de voir le musée accusé d’incitation à commettre un délit ou même de recel, dans le cas d’objets volés (comme des bombes aérosol, par exemple), il a fallu convaincre les instances décisionnaires en matière d’acquisition. L’approche culturelle large adoptée au début de l’enquête, qui incluait le graffiti dans une étude des cultures urbaines, au même titre que le breakdance et le rap, a facilité la démarche. Aujourd’hui, l’importance de la collection et l’affirmation du mouvement graffiti, qui a pignon sur rue, lèvent certaines hésitations, tout comme la vigilance accrue portée aux problématiques juridiques en amont des acquisitions. Le positionnement des artistes entre légalité et illégalité, à la faveur d’une « artification » du mouvement a d’ailleurs fait l’objet d’un terrain d’étude à Marseille, en 2018-20199. Pour répondre à cette problématique, il a été choisi d’accomplir d’abord une couverture photographique de la rue avant de rencontrer les artistes, à l’inverse de la méthodologie déployée pour les autres terrains de l’enquête.

État des lieux de la collection et récentes acquisitions

La diversité des objets collectés mérite d’être soulignée. Un descriptif synthétique permet du reste de montrer la complémentarité des acquisitions récentes avec les fonds déjà existants.

Les références culturelles adoptées par le mouvement graffiti y sont très présentes, à travers des fanzines, mixtapes, disques vinyle, vêtements et parures, objets promouvant des événements liés au graffiti. Un très bel ensemble d’affiches sérigraphiées du pionnier new-yorkais Phase2 annonçant des soirées hip-hop aux États-Unis et en Italie a ainsi été acquis auprès d’Agent en 202010. Envisagée d’abord à partir des cultures urbaines et du hip-hop, l’enquête-collecte établit en effet très nettement le lien entre le graffiti et ce mouvement, peut-être au détriment d’autres contre-cultures, comme le punk, le reggae, qu’il pourra s’agir d’étoffer au sein des collections dans les années à venir. Enfin, à travers l’acquisition récente de l’installation sonore et visuelle Religare, de Zepha et de Yohan Vasquez11, ce sont le graff, le rap et le flow comme héritage qui sont interrogés.

Les œuvres de writers sont en bonne part dans les collections du Mucem – à travers esquisses, dessins, photographies. À la faveur de l’inaliénabilité des collections, plusieurs artistes ont accepté de céder au musée des blackbooks et des books, dont certains ont valeur d’incunables, comme le book de Dark12, ou de sommes historiques, comme celui de Seek (fig. 1)13.

1   Seek, book retraçant le parcours du graffeur trainiste en France et en Europe entre 1993 et 2016, 2021-2022, tirages photographiques collés sur canson noir et rassemblés dans un album en PVC, 58 x 52 x 4 cm (fermé), Mucem, inv. 2022.28.1.1-28. Crédits Mucem/photographie : Marianne Kuhn

Mais le Mucem s’est aussi donné les moyens de répondre à la monumentalité des supports urbains : le pan du mur de Berlin donné au musée par la ville de Berlin, grâce à Barbara Kisseler, en 2008 a déjà été exposé et publié, et plusieurs œuvres récemment acquises prennent pour support des fragments de train – comme les banquettes de Sike14 ou la porte d’un train Z6100 surnommé « petit gris » transformée par Maxime Drouet en installation lumineuse et vidéo sous le titre Dura Lex sed Lex (fig. 2)15.

2  Maxime Drouet, Dura Lex Sed Lex, installation vidéo et picturale créée à partir d’une porte de « petit gris », 2019, techniques mixtes, 195 × 150 cm, Mucem, inv. 2020.11.1.1-3. Crédits : Mucem/photographie : Marianne Kuhn

Cette œuvre pose la question du développement d’un marché des arts urbains et de la représentation dans les collections d’œuvres créées pour des espaces d’exposition et/ou de vente, quelques fois regroupées sous le terme discuté de « post-graffiti ». Le phénomène est matérialisé dans les collections à travers une vingtaine de toiles et quelques sculptures – tel le lettrage en ronde-bosse de béton peint de Daim16. La poursuite de ce type d’acquisitions peut être légitime sous réserve que l’importance de l’artiste au sein du mouvement graffiti soit établie et que la peinture ne soit pas la simple transposition sur toile du geste habituel du graffeur, mais témoigne d’une recherche plastique renouvelée. La perméabilité observable en Grèce entre les mondes du graffiti et de l’art contemporain nous a ainsi conduits à faire en 2023 l’acquisition d’une toile de Zap (fig. 3), où le geste, le cerne et le all-over relèvent encore du graffiti, réinterprété toutefois à travers une approche expérimentale des techniques et matériaux17.

3  Zap, Current Joys, vers 2018-2019, acrylique, craie grasse et collage sur toile, 220 × 169 cm, Mucem, inv. 2023.27.8. Crédits : Mucem/photographie : Marianne Kuhn

Le dialogue entre l’espace urbain, le graffiti et l’histoire de l’art se joue enfin aussi dans les collections à travers deux œuvres respectivement dues à Raymond Hains18 et Jacques Villeglé19. Si certains writers s’orientent vers le marché de l’art, d’autres font carrière dans des domaines tout autres, et ces parcours intéressent le Mucem en ce qu’ils questionnent la marginalité supposée de ce type de création. L’acquisition d’un coffret de quatre chevalières en argent designées par Mind après qu’il a repris l’atelier de bijoutier de son grand-père est ainsi remarquable en ce qu’un double héritage et un double savoir-faire s’y conjuguent, chaque bague représentant la tête d’un métro important dans la culture des graffeurs trainistes : Milan, São Paulo, Londres et New York20.

Si l’on s’en tient toutefois au seul savoir-faire des writers, les collections du Mucem sont susceptibles d’illustrer richement leurs processus créatifs, matérialisés à travers des outils de graffeurs. Des objets témoignant de procédés particuliers ont récemment été acquis : ainsi, une bombe aérosol percée d’une entaille à l’aide d’une spatule par Sike21, un extincteur que ce dernier a transformé en bombe aérosol géante22, les marqueurs artisanaux de Panda (fig. 4), adaptés à l’activité d’un « bomber23 », ou encore la perche télescopique permettant à Pupet de peindre au rouleau à huit mètres du sol sans échafaudage ni nacelle24. Ils complètent la collection d’une centaine de marqueurs, de bombes aérosol et de caps25 précédemment constituée au fil des opportunités. Au regard de l’histoire matérielle du graffiti que cette typologie d’objets permettrait d’écrire – de la laque de carrosserie à la bombe aérosol phosphorescente, en somme – et face au collectionnisme expert de particuliers comme Aurélien Harmignies, fondateur de la boutique Capdorigine, à Lille26, on peut se demander aujourd’hui si le Mucem ne pourrait pas avec pertinence s’engager plus systématiquement dans la patrimonialisation de ces outils.

4   Panda, assemblage sous verre de marqueurs artisanaux, 2010-2015, techniques mixtes, 23,3 × 43,7 × 4,5 cm, Mucem, inv. 2020.25.2. Crédits : Mucem/photographie : Marianne Kuhn

Outre le geste créatif du writer, son expérience – de préparation, de guet, d’attente, d’intrusion, de cheminements ou de courses nocturnes ou souterraines – n’est à ce jour représentée que par des photographies – comme celles de Wo (fig. 5)27 – et par des témoignages oraux. Se pose donc la question du patrimoine négatif du graffiti – de tous les moyens de lutte anti-graffiti mis en œuvre par les opérateurs publics et privés de transports, qui conditionnent cette expérience créative et pourraient compléter les collections – caméras de surveillance, détecteurs de mouvement ou d’odeur, par exemple.

5  Wo, Zepha (GAP) s’introduisant aux abords d’une voie ferrée de Seine-Saint-Denis pour peindre, 1997, numérisation d’un négatif argentique, Mucem, cote 138p11 phw207. Crédits : Mucem/photographie : Wo

Qu’elles soient considérées comme aboutissement de la démarche du graffeur ou comme archives la documentant a posteriori, les photographies de graffiti jouent un rôle essentiel dans le développement du mouvement et la diffusion des œuvres. Les collections mucémiennes sont à ce titre richement fournies – en tirages, reproductions, fanzines, microéditions et livres d’artistes. Des photographies28 de Martha Cooper, photographe des origines du mouvement, et l’ouvrage fondateur Subway Art, qu’elle a publié en 1984 avec Henry Chalfant, font bien entendu partie des fonds. Depuis plusieurs années, le rôle de l’image animée dans cette diffusion s’affirme – y compris dans les collections, à travers des vidéos comme celles de Zoow2429. Il pourrait toutefois s’agir par de prochaines acquisitions de compléter de pan de la collection.

Des acquisitions sont en effet encore en cours, puisque le tour méditerranéen amorcé en 2013 s’achève à peine, avec l’enquête conduite en 2022-2023 dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, et notamment à Bucarest, Zagreb, Bratislava et Prague30.

2019-2023 : deux enquêtes-collectes complémentaires

L’engagement du département de la recherche et de l’enseignement du Mucem31 aux côtés de la conservation a par ailleurs permis d’accueillir des chercheuses travaillant sur des sujets connexes, éclairant certains angles morts de l’enquête-collecte historique.

Ainsi, la destruction programmée en 2018 d’un quartier historique de la prison des Baumettes, à Marseille, a offert un terrain, début 2019, à l’enquête « Graffitis et créations carcérales », menée par Zoé Carle dans le cadre du post-doctorat que cette dernière effectuait au Mucem sur les « Slogans et graffitis contestataires : des voix aux murs32 ». L’enquête présente deux volets : d’une part, la constitution d’une documentation photographique en partenariat avec l’Inventaire général du patrimoine culturel Provence-Alpes-Côte d’Azur prenant pour objet la prison, son architecture et ses graffitis, et d’autre part, une collecte d’éléments affichés dans les cellules, d’objets créés ou détournés par les détenus et relatifs à leur vie quotidienne. Elle se matérialise par plus de 2000 photographies, un versement aux archives de 140 documents et 42 objets inscrits à l’inventaire du musée, provenant des cellules laissées à l’abandon lors du transfert des détenus vers le quartier des « Baumettes 2 » ou de saisies de l’administration pénitentiaire. Il serait faux et abusif de créer ou même de suggérer une équivalence entre les populations carcérales et les artistes peignant illégalement dans l’espace public. Si cette enquête peut être considérée comme complémentaire de la première, c’est d’abord par le fait que la couverture photographique des murs des cellules permet l’analyse d’un autre type d’écriture pariétale et d’expression populaire. Outre leurs préoccupations quotidiennes, les inscriptions reflètent les références culturelles et politiques de certains détenus et sont souvent le reflet des tensions qui traversent la société française, voire les sociétés européennes. Par ailleurs, il peut y avoir complémentarité en ce que l’enquête « Graffiti et créations carcérales » permet l’étude d’une institution dont certains writers font l’expérience et qui marque leur imaginaire, dans une rhétorique oscillant entre confidence du trauma, revendication d’une justice plus tempérée – selon la devise fréquente « art is not a crime » –, et héroïsation du haut fait. Ayant échappé de justesse à une incarcération pour avoir peint illégalement au Japon en 2010, Senor propose au musée de patrimonialiser les items de l’exposition « Free Dadu33 », alors montée par lui à Bratislava autour de cette mésaventure pour soutenir son infortuné co-équipier, Daor : tirages photographiques, « rail pass Japan », photogrammes d’un journal télévisé japonais. L’expérience carcérale est au cœur d’un mode de diffusion et de communication nouveau, ressort essentiel d’une levée de fonds et d’une économie spontanée mise en place au sein du milieu. Pour sa part, Sike relate une incarcération subie à Montréal, au Canada, en 2012 pour vandalisme, alors qu’il confie au Mucem une esquisse réalisée durant cette peine (fig. 6)34. Loïc Le Bouar a aussi pu rapporter du terrain effectué sur le graffiti en Grèce un numéro rarissime du fanzine Behind Bars35, créé en 2020 par Elvis, un graffeur de Vilnius membre des KGS, alors qu’il était détenu à Thessalonique et préfacé d’une introduction de Fuzi. Dans un étonnant mélange, wildstyle et icônes orthodoxes dessinés ou tatoués au moyen d’un dermographe artisanal36 se côtoient au fil des pages, reproduits avec les moyens du bord : graffiti, tatouage et images de dévotion populaires sont autant de sujets auquel le MNATP puis le Mucem se sont attachés.

6  Sike (Toulouse), collage comprenant un sketch réalisé durant une période de détention, à Montréal, en 1997, crayons de couleur sur papier, collages, ruban adhésif, 19,8 × 28 cm, Mucem, inv. 2022.6.3. Crédits : Mucem/photographie : Marianne Kuhn

Non moins grave, si l’on considère la tragique résonance que lui a conférée la guerre déclenchée par le massacre du 7 octobre 2023, l’enquête-collecte réalisée quelques mois plus tôt par Marion Slitine en Palestine a pour but d’étudier création et circulations de symboles de la résistance palestinienne à l’occupation israélienne. L’anthropologue a notamment mis en lumière le commerce de produits dérivés de certaines œuvres d’art urbain comme ressort d’une économie locale et d’une cause politique. L’art et l’engagement de Banksy, jusqu’alors présent dans les fonds du Mucem à travers le seul catalogue de Dismaland37, sont largement matérialisés à travers les fruits de la collecte. Le Walled Off Hotel, créé par Bansky « avec la pire vue du monde », juste en face du mur de séparation dressé entre Israël et la Palestine, sa galerie et sa boutique ont été un point de départ pour l’enquêtrice, qui a rencontré ensuite plusieurs gérants de boutiques d’artisanat d’art ou de souvenirs. Il en ressort la mise en place d’un commerce identitaire et arty à destination des populations palestiniennes, mais surtout des touristes internationaux. Des multiples signés et commercialisés par Banksy pourraient faire naître le soupçon d’un opportunisme cynique38. Un Wall Souvenir39 acheté au Walled Off Hotel a ainsi été rapporté de Palestine : il s’agit d’une réplique miniature du mur de séparation, à la base duquel affiches et slogans pacifistes sont visibles et au pied duquel est fixée une figurine de graffeur en train de réaliser la Petite Fille aux ballons, portrait indirect de Banksy lui-même, puisque ce dernier a réalisé cette œuvre sur le mur de séparation, près du checkpoint de Qanlandia, en 2005. Le tout est posé sur un socle minéral, imitant un sommet escarpé et aride, supposé être un fragment dudit mur de séparation, avant d’être numéroté et signé. Cependant l’ironie du mot « souvenir » accuse le « tourisme noir » ou « tourisme morbide » qui se développe dans la région, et sonne comme une exhortation à la mémoire et à un tourisme solidaire. L’engagement de Banksy se manifeste dans le renoncement qu’il fait à ses droits patrimoniaux pour l’exploitation des œuvres peintes sur place. L’enquête-collecte a ainsi permis d’acquérir au Banksy shop, qui jouxte l’hôtel, un mug40, un dessous de verre41, une carte postale, un magnet42 présentant le motif de la fillette. La circulation d’un motif et l’avènement d’une œuvre d’art urbain comme symbole politique sont ainsi mis en évidence. Enfin, le Walled Off Hotel et la boutique adjacente apparaissent aussi nettement comme lieux de promotion d’artistes palestiniens. Sont ainsi entrés dans les collections du Mucem à travers cette enquête-collecte Naji al-Ali et sa mascotte politique créée en 1973, le Handala43, Benji Boyadgian, à travers des éditions dérivées de son graffiti « Make humus not walls44 » et Amer Shomali, par son affiche « Visit Palestine », détournement ironique de celle créée en 1936 par Franz Krausz45.

L’extension géographique et temporelle de l’enquête consacrée au graffiti s’explique par la richesse du mouvement et l’absence d’autres initiatives patrimoniales publiques le concernant, en France, entre 2000 et 2020. Elles répondent au caractère mondialisé du mouvement, dont les acteurs voyagent, « collectionnent » parfois des systèmes ferroviaires, réalisent pour certains des cartographies mondiales reflétant leur parcours. Les collections invitent ainsi à une approche diachronique et comparatiste du mouvement et permettent d’interroger les spécificités de chaque lieu de création au regard du contexte social, économique, politique et technique qu’il offre. Ainsi, en dépit de ses inévitables lacunes, la collection du Mucem permet, à l’échelle euro-méditerranéenne, d’étudier les dynamiques de réseaux et d’échanges d’une scène à l’autre et d’ébaucher une histoire, une sociologie, une ethnologie et une histoire de l’art du graffiti, sans s’interdire des incursions dans le terrain plus large du street art ou des arts urbains, lorsque les lieux et sujets d’investigation l’exigent. À disposition des publics intéressés dans le cadre de consultations lorsqu’elle n’est pas exposée, la collection du Mucem continue de s’enrichir d’une riche documentation, fruit des expertises conjuguées des agents du musée et des acteurs du mouvement.

Entretien avec la Fédération d’art urbain, Claire Calogirou et Élodie Vaudry